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Dans la suite de notre entretien, les Drs Patrick Emonts et Stan Politis reviennent sur les nombreuses contradictions de Frank Vandenbroucke, sur l'accréditation, les mesures injustes contre l'orthopédie et l'évolution des mutuelles vers des institutions de contrôle loin des problèmes de terrain.

absym
(c) Erik Derycke

Erik Derycke : Les règles d’accréditation sont revues : il y aura une différence d’honoraires entre médecins accrédités et non accrédités. C’était déjà dans une proposition passée au Comité de l’assurance…

Dr Stan Politis : C’est d’ailleurs l’une des grandes raisons pour lesquelles les médecins n’étaient pas d’accord avec la première proposition des mutualités : elle portait sur 49 millions d’euros, dont 10 millions via une diminution de 3,8 euros sur 10 millions de consultations, et 10 millions en plus via la valeur Q. Le cabinet a ensuite ramené le montant à 9millions, mais la mesure reste mal pensée.
Pourquoi ? À cause de sa motivation officielle : créer un plus grand écart entre accrédités et non accrédités, parce que ces derniers « ne voudraient pas se former ». Nous avons posé une question simple (en renvoyant au rapport sur les généralistes bruxellois) : combien de médecins non accrédités sont en réalité des médecins de 65 ans et plus qui poursuivent leur activité - généralistes comme spécialistes - pour continuer à suivre leurs patients (par exemple des gynécologues ayant accompagné deux ou trois grossesses) et contribuer à réduire les délais d’attente ? Ces médecins retraités actifs rendent un service à la collectivité et l’accréditation n’est plus un enjeu pour eux. Ni l’Inami, ni les mutualités, ni le cabinet n’ont pu chiffrer la part de ces médecins dans le groupe visé.
En outre, on abaisse l’honoraire à 25,6 euros. Ajoutez l’interdiction de suppléments « 1-1 » pour les patients BIM : il reste trois options pour ces médecins (souvent conventionnés) : se déconventionner, arrêter s’ils sont retraités actifs, ou se remettre à des formations qui n’ont plus de sens à ce stade de carrière. Où est la logique ? Qu’on nous la démontre.

Dr Patrick Emonts : On peut même ajouter un quatrième effet : certains basculeront hors Inami, en médecine privée non subsidiée. Et là, on casse un atout belge : pouvoir consulter d’excellents médecins à un prix encore abordable.
Je rebondis : on veut, dit-on, « réduire au maximum » le nombre de médecins déconventionnés pour les faire rentrer dans la convention… mais sur une base tarifaire qui, en ambulatoire/extramural, est ingérable. Et on empile des règles qui, de fait, poussent à la déconvention. C’est contradictoire.

 Nombreuses contradictions

Nicolas de Pape : Autre contradiction. Aux 60 ans du GBO, Frank Vandenbroucke a plaidé pour recourir aux infirmiers, assistants de pratique, etc. Or, ici, on s’attaque à l’aide opératoire - en visant notamment l’orthopédie. Ça vous choque ?

Dr Patrick Emonts : Les aides opératoires sont indispensables dans certaines chirurgies très spécialisées. On ne « remplace » pas une aide qualifiée au bloc. Soit on intègre ce coût dans le prix de la prestation pour permettre au médecin de financer l’équipe, soit on maintient un dispositif spécifique.
Je fais un parallèle avec la vaccination en pharmacie : c’était l’occasion, pour des patients qui ne voient pas leur médecin, d’avoir un mini-check-up (tension, questions clés, etc.). Au-delà des rares risques (choc anaphylactique), ce contact humain compte. La valeur du temps médical est capitale : écouter, comprendre, parler avec le patient. Une fois sur deux, cela évite un médicament (antidépresseurs, somnifères…). Si vous rabotez sans cesse les moyens, le médecin n’a plus le choix que de faire du volume -dramatique pour la qualité.

Dr Stan Politis : Sur l’orthopédie, les mesures s’accumulent. D’abord, une économie de 8 millions d’euros (dans un paquet de 62,2 millions) dès le 1er janvier 2026. Ensuite, baisse d’honoraires sur la pose de prothèse de genou, –10 % sur certaines chirurgies du dos, suppression de 100 % du financement de l’aide opératoire alors qu’il faut continuer à payer assistants et instrumentistes ; diminution de la consultation pour les non-accrédités (environ 40 % des orthopédistes ne sont pas accrédités) ; baisse du prix des implants (hanches, genoux) déjà actée.
On donne l’impression d’une surconsommation d’actes. Oui, il existe des variations géographiques, mais il faut les expliquer scientifiquement (universités, registres). J’ai entendu, par exemple, le Pr Jan Victor au CRIPMI détailler les raisons des variations entre régions pour les prothèses de hanche et de genou. C’est cette démarche qu’il faut suivre.

Dr Patrick Emonts : Même chose pour les césariennes : il y a de grosses différences. Un économiste peut s’étonner d’un taux à 12 % ici et 52 % là… mais les patientèles, les profils de risque, les organisations diffèrent. Qu’il y ait des dérives à corriger, bien sûr - et nous sommes capables de les identifier. Mais on ne peut pas imposer des chiffres identiques partout.
Idem pour les suppléments d’honoraires : en Flandre, il y a plus de chambres particulières ; à suppléments unitaires plus faibles, le volume finance l’hôpital. En régions où seules 2 chambres sur 10 sont particulières, si vous voulez financer pareil, les suppléments unitaires sont plus élevés. Il y a un facteur communautaire. D’où la nécessité d’une vraie concertation de terrain. Le ministre vient, écoute, mais a déjà décidé.

Dr Stan Politis : Autre malentendu : on veut faire passer l’idée que le syndicat « défend les fraudeurs ». Faux. Qu’on sanctionne les fraudeurs, oui. Mais ne pénalisons pas 98 % des médecins corrects parce que 2 % fraudent. Sinon, on fabrique une médecine défensive : par peur, les médecins multiplient les examens techniques pour « se couvrir », alors que le diagnostic clinique suffit souvent.

 Pression sur les malades de longue durée

Nicolas de Pape : Même logique dans un autre pan de la sécu qui explose : les malades de longue durée. On met la pression sur les médecins traitants accusés d’être trop « coulants ». Pourtant, les abus ne concernent-ils pas, là aussi, une petite minorité ?

Dr Stan Politis : Regardons les chiffres : les médecins-conseils des mutualités renvoient sur le marché du travail environ 10 % des personnes en incapacité de longue durée (selon la mutualité, 10–14 %). Cela signifie qu’ils confirment le diagnostic et l’incapacité pour 86–90 % des cas. Le problème existe, mais il ne faut pas caricaturer.
Il y a aussi des effets de seuil : avec le statut BIM, certains avantages font qu’un retour au travail peut appauvrir. On retrouve une logique similaire côté « longue durée ». C’est pour cela que l’Absym proposait…

Dr Patrick Emonts : …un organisme indépendant. La plateforme TRIO (médecin prescripteur, mutualités, médecine du travail) est utile, mais chacun a sa polarité : le clinicien a l’empathie envers le patient ; le médecin-conseil veille aux dépenses ; la médecine du travail a l’employeur derrière. Il faut un tiers neutre, hors tutelle, capable d’arbitrer sereinement.
Deuxième point : on prend le problème à l’envers. Il faut prioriser les personnes récentes en incapacité (1–2 ans), jeunes, reclassables. Rattraper des situations de 20 ans d’inactivité, c’est illusoire : quel employeur acceptera ? Concentrons-nous sur la reprise précoce, travaillons avec les CPAS, etc.
Enfin, ne stigmatisons pas un corps médical entier pour 2 % de certificats « de complaisance ». Un certificat engage la responsabilité du médecin (et du patient). Avec un organe indépendant et une bonne orientation, on peut corriger les abus — sans casser le reste.

absym
(c) Erik Derycke.

 L'accord médico-mut, dernier levier de pression

Erik Derycke : Regardons l’avenir. Le prochain « dossier chaud » sur la table, c’est le nouvel accord Medicomut pour deux ans. Il nous reste un peu plus de deux mois pour trouver un accord avec les mutualités. Dans votre communiqué, vous disiez que « ce ne sera pas facile »…

Dr Stan Politis : Ce ne sera absolument pas facile. Plusieurs points sont cruciaux, et nous les avons déjà évoqués.
D’abord, les pseudocodes prévus dans l’accord précédent n’ont pas été mis en œuvre. Quand un point d’accord n’est pas exécuté, c’est un très gros problème. Cela touche aussi l’article 35, §4 : d’un côté, les mutualités veulent baisser les tarifs ; de l’autre, les médecins - surtout extramuraux - ne peuvent pas répercuter leurs coûts. Ce n’est pas vivable. Les pseudocodes sont indispensables pour la viabilité des pratiques extramurales et doivent être appliqués.
Des tarifs indicatifs (comme en dentisterie) peuvent être discutés. Pour la médecine générale, la réintroduction de la téléconsultation est très importante. À l’Absym, nous avons toujours lié cela à une indexation ou une légère hausse du ticket modérateur pour les non-BIM/non-VIPO, afin de financer la téléconsultation.
Point tout aussi essentiel : l’extramuros. Si vous ne le rendez pas viable, vous ne ferez jamais une prévention efficace. Enfin, les mutualités doivent respecter le modèle de concertation. Elles se considèrent « gestionnaires du système », mais agissent comme propriétaires : décider qu’un acte vaut zéro, ce n’est pas une « négociation tarifaire ». Un acte avec des coûts ne vaut jamais zéro. Si un tarif est provisoirement mis à zéro, cela ne peut être qu’en attendant l’AR qui supprime la prestation — et cet AR doit être lié à la décision.

Nicolas de Pape — En clair, l’accord médicomut est votre ultime levier pour corriger le tir. Mais je sais que vous finissez toujours par signer (rire)

Dr Patrick Emonts : Nous n’avons jamais fait grève par le passé, et on n’avait jamais vu le Comité de l’assurance bloquer un budget - c’est nouveau. Donc, non, rien n’est impossible. Mais je veux insister : nous représentons environ 60% des médecins, et nous sommes constructifs. Nous nous battons d’abord pour les soins de santé, pas pour « notre portefeuille » — même si la rémunération compte aussi. Nous sommes conscients de l’impact de ces mesures sur la qualité des soins.
Regardez les perceptions : dans QR Débat, à la question « comment jugez-vous les soins de santé en Belgique ? », 63% des répondants ont dit « très bons ». Ne cassez pas tout.
Nous avons aussi fait grève pour défendre l’ambulatoire et contre certaines mesures (numéro Inami, définition floue de « fraude » via un « outlier » extensible…). Dans un État de droit, si l’on doit recourir à la répression pour faire appliquer une ligne non acceptée, on en sort. Nous avons un problème démocratique dans la conduite des réformes de santé.

"Vous avez vu : au Comité de l’assurance, les deux autres syndicats ont voté comme nous."

Dr Stan Politis  : Au fil des années, le rôle des mutualités a changé. Elles étaient proches du patient ; elles sont devenues surtout des instances de contrôle, et la loi-cadre renforce encore ce rôle. Leur connaissance du terrain s’est érodée, cela se voit dans les propositions. Beaucoup de peur et de contrôle, moins d’organisation des soins. Il faut réhabiliter la 3e jambe : la connaissance du terrain, et donc l’échange avec les médecins — nous sommes le terrain.

Erik Derycke : Encore un mot sur l’avenir. Beaucoup de médecins que je rencontre sont très mécontents de la situation. Accord ou pas, envisagez-vous des actions syndicales ? (Pas l’« assaut du Hilton », rassurez-moi…)

Dr Stan Politis : (rires) Non. Mais rappelons-le : les ministres vont et viennent, les médecins et les patients restent. À long terme, il faut se demander ce qui est le mieux pour le patient.
La réforme de la nomenclature doit aboutir : c’est bon aussi pour le patient. Les problèmes structurels des hôpitaux doivent être traités, mais pas seulement par des moyens financiers. La réglementation contribue fortement au coût. Et pendant ce temps, l’extramural est asphyxié.
Notre cap syndical à long terme :

À l’hôpital, ne faire que ce qui doit s’y faire (environnement coûteux).
Hors hôpital, faire ce qui n’a pas à y être.
Permettre la prévention grâce à une vraie médecine extramurale. 

Nicolas de Pape : Et avec les autres syndicats (AADM, Cartel), comment ça va ?

Dr Patrick Emonts : Vous avez vu : au Comité de l’assurance, ils ont voté comme nous. Ça va mieux qu’avant. Quand vous entendez Thomas Gevaert, par exemple, il est souvent sur la même ligne que nous.

Dr Stan Politis : Parce qu’on parle de la même chose : la qualité des soins.

Dr Patrick Emonts : Le risque, chez les médecins, c’est la défense de sa chapelle. Avec Stan et le comité directeur, on a acté que nous parlons d’une seule voix au nom de 60 % des médecins votants : médecine générale et spécialités confondues. Le Cartel a fait la même évolution, ce qui facilite des contacts francs.

Dr Stan Politis : Notre principal désaccord avec AADM, ce sont les maisons médicales. Pour le reste, on cherche des voies communes.

 

 

 

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Écrit par Nicolas de Pape et Erik Derycke22 octobre 2025

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