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« Un choc pour le monde médical à tous les niveaux »

Le journal du Médecin et Artsenkrant ont été reçus en exclusivité dans les bureaux de l’Absym par son nouveau président, le Dr Patrick Emonts et l’un de ses administrateurs, le Dr Stan Politis. Encore sous le choc des mesures d’économies exigées par le conseil général de l’Inami (en réalité, par le gouvernement) pour les médecins, ils soulèvent plusieurs paradoxes : ces économies ne sont pas EBM, elles sont linéaires, elles sont totalement hors du champ du dialogue exigé par la concertation (le comité de l’assurance avait rejeté la proposition de budget) et ne tiennent pas compte de l’approche constructive des trois syndicats de médecins. Le dernier levier est l’accord médico-mut ou… la grève. Bien qu’à ce stade, aucun des deux hommes forts de l’Absym ne souhaite ouvrir la boîte de Pandore.

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© Erik Derycke.

Nicolas de Pape : Je travaille au Journal du Médecin depuis 1996, et c’est l’un des plus grands chocs d’économies que j’aie vécus. Vous êtes nouveau président : j’imagine que, pour vous aussi, le montant des économies a été un choc, tellement il est pharaonique…

Dr Patrick Emonts : C’est un choc pour tout le monde médical, à tous les niveaux - médecins comme hôpitaux. Tout le monde sait que des économies sont nécessaires, mais à cette hauteur-là, cela aura un impact réel sur l’accessibilité et la qualité des soins. C’est cela qui nous effraie. Or, à la formation du gouvernement Arizona, les axes annoncés étaient « qualité, accessibilité, efficience ». Nous, médecins, pensons que la voie choisie n’améliore ni la qualité, ni l’accessibilité, ni l’efficience.

« Si on attaque les honoraires, les prélèvements hospitaliers diminuent aussi, c’est certain. »

Nicolas de Pape : santhea a calculé qu’il n’y a pas 50 millions d’économies dans les hôpitaux mais 160, avec des effets indirects. Avez-vous repéré d’autres économies indirectes qui risquent de surgir à brève échéance ?

Dr Patrick Emonts : Oui. Nous nous sommes concertés avec les hôpitaux. Dans le système actuel, une partie du financement hospitalier provient des prélèvements sur les honoraires médicaux. Si on attaque les honoraires, les prélèvements hospitaliers diminuent aussi : c’est certain. Même logique sur les médicaments. La gestion sera très difficile pour les hôpitaux. Et nous, à l’Absym/BVAS comme au GBS, nous sommes très inquiets : c’est la troisième fois d’affilée qu’on vient piocher lourdement dans les soins de santé. Le ministre parle d’intégrer des frais au BMF, très bien, mais où ira-t-il chercher les économies ? C’est une masse énorme. On dit « on va aider l’hôpital », mais que restera-t-il du médecin après ?

Erik Derycke : Regardons le processus budgétaire. La base de notre modèle, c’est l’« overlegmodel » (modèle de concertation) paritaire à la Medicomut, au Comité de l’assurance, au Conseil général. En juillet, le ministre a envoyé une lettre de mission pour orienter tout le processus. Comment l’avez-vous perçu ?

Dr Stan Politis : Qu’un ministre envoie une lettre au nom du gouvernement, c’est son droit. Ce qui a surpris, c’est sa longueur (16 pages) et son caractère très « prescriptif » : un « menu » de mesures très concrètes. Cela étouffe la concertation : plus aucun espace pour que la base (Conseil technique médical, Medicomut) fasse des propositions au Comité de l’assurance. Les mutualités, comme partie prenante, sont quasi contraintes d’entériner ces mesures, ce qui limite énormément la marge de négociation pour des propositions nouvelles. On est enfermé dans un carcan, c'est un mauvais présage pour l’avenir.

 « Ces économies n’ont rien d’EBM ou d’appropriate care »

Dr Patrick Emonts : on dit toujours que tout part d’objectifs de santé, d’« appropriate care », d’« evidence-based ». Je vous invite à trouver une seule mesure, côté médecins, qui en témoigne vraiment dans les tableaux : ce sont quasi toutes des réductions de prix. On touche à la valeur des lettres-clés : c’est une baisse de prix, pas de l’« evidence-based medicine », ni un objectif de santé. C’est une économie budgétaire.

Emonts Absym Erik Deryke
© Erik Derycke

Les économies ne devraient pas se faire « au coup par coup ». On a l’impression d’un raisonnement à court terme - logique électorale - et c’est catastrophique. Comme Stan le dit, on peut travailler sur les volumes et sur les dépenses inutiles ou excessives, responsabiliser les acteurs : on ne fait pas de « balade médicale ». Il faut prescrire à bon escient - on voit une tentative en radiologie - mais c’est un travail de fond. On n’a plus les moyens de faire la médecine « comme avant », ni en biologie clinique ni en imagerie. Il ne faut pas taxer massivement un poste (imagerie, labo) à chaque fois en ambulatoire ; il faut prendre un peu de temps et repenser un fonctionnement efficient. Le ministre l’annonce… mais la manière n’y est pas : c’est un passage en force pour récupérer de l’argent tout de suite, sur la législature.
Comme syndicats médicaux, nous voulons restructurer le financement des soins. Et cela fait plus de dix ans qu’on y travaille dans l’enseignement universitaire : voyez les par exemple les examens cliniques où l’on demande le diagnostic et le traitement avec le juste nombre d’examens, en tenant compte des fonds publics. Des étudiants échouent parce qu’ils prescrivent des examens/médicaments inappropriés ou trop chers : on exige le choix du meilleur marché dans la gamme. Bref, cela fait des années qu’on pousse à l’efficience ; ce n’est pas en tirant tour à tour sur tel ou tel poste qu’on y arrivera. Il faut raisonner dans la durée.

 « MR et N-VA ne peuvent pas faire tomber le gouvernement sur le budget Inami »

Nicolas de Pape : Les médecins votent massivement MR et N-VA, et vous n’êtes pas bien servis par ce gouvernement. Est-ce que les représentants du gouvernement vous ont lâchés ?

Dr Patrick Emonts : En coalition, c’est compliqué. Faut-il faire exploser le gouvernement ? Voilà leur problème. En aparté, vous avez entendu Daniel Bacquelaine au Parlement : il est souvent sur notre ligne. Mais quand on représente une majorité déjà fragile, avec un ministre de la Santé issu de la gauche - et, dans sa pratique, presque d’extrême-gauche -, il est difficile pour un gouvernement de droite de s’y opposer frontalement. Il y a une crainte, légitime : la Belgique peut-elle se permettre une nouvelle chute de gouvernement ?

Nous voulons une vision dans la durée. Il faut aussi réformer la nomenclature : les disparités de rémunération sont énormes, du simple au triple, voire au quadruple. Certains ne voient que les excès, mais des spécialités se précarisent, et c’est problématique. Le ministre sort des chiffres (un accouchement à 3.000 euros, etc.) : ce n’est pas juste. Il faut remettre des niveaux corrects pour l’ensemble, tout en gardant la capacité d’investir, d’innover, de faire de la recherche.
La N-VA comme le MR défendent la médecine libérale : nous avons des contacts réguliers (Stan avec la N-VA, moi avec le MR). Ils sont d’accord sur le principe, mais ils jouent l’enjeu du gouvernement du pays; ce n’est pas simple.

Démontrer la nécessité des suppléments

Erik Derycke : Je me fais l’avocat du diable : sur les suppléments, le ministre dit avoir demandé aux syndicats de lui prouver, chiffres à l’appui, que les suppléments sont nécessaires à la survie des pratiques ambulatoires. « ils ne les ont pas », a-t-il répété la semaine dernière par voie de presse.

Dr Stan Politis : Deux remarques. D’abord, MR et N-VA rappellent qu’il n’y a pas de sécurité sociale solide sans économie solide - on l’oublie parfois. Ensuite, ces partis comprennent ce qu’est la « médecine libérale ». C’est important, car la médecine libérale se pratique aussi en extramuros. Historiquement, Vooruit a développé et soutenu une médecine très intramuros. Aujourd’hui encore, le ministre Vandenbroucke développe l’intramuros et réduit l’extramuros. Or, si vous affaiblissez l’extramuros, vous ne ferez jamais une bonne prévention : la prévention se fait hors de l’hôpital, pas dedans.

 « Le ministre met à mort la médecine ambulatoire extrahospitalière »

Dr Patrick Emonts : L’extrahospitalier a un rôle énorme à jouer. Si vous transférez tout à l’hôpital, ce ne seront plus six mois mais trois ans d’attente pour un rendez-vous. La logique est au contraire de soulager l’hôpital de tout ce qui relève - notamment - de la prévention, qui doit se faire en extrahospitalier. Or, dans l’idéologie du ministre - la forfaitarisation, le « package » hospitalier -, il met à mort la médecine ambulatoire extrahospitalière. Je le lui ai dit : nous faisons du social en extrahospitalier. Des patients qu’on connaît, qu’on suit, qui ne vont pas à l’hôpital, que la médecine générale ou certaines spécialités peuvent prendre. Les deux médecines sont complémentaires. Et n’oubliez pas : en extramuros, on se finance entièrement - sans BMF. Si vous rabotez sans cesse, ce n’est pas « moins de marge », ce sera « plus vivable du tout ».

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(c) Erik Derycke.

Nicolas de Pape : Frank Vandenbroucke rêve-t-il d’un NHS, avec médecins salariés intramuros ? Va-t-il jusque-là idéologiquement ?

Dr Patrick Emonts : Il ne le dit pas, mais ses actes parlent d’eux-mêmes. Si vous rendez l’extrahospitalier invivable, soit on les forfaitarise sous tutelle hospitalière, soit on les réintègre intramuros. Je pense qu’il en est là.

Dr Stan Politis : Nous avons signé l’accord sur le code de transparence : depuis le 1er septembre 2025, chaque médecin, quel que soit son lieu de travail, doit indiquer sur la facture tout ce qui est perçu (honoraires, suppléments) et expliquer pourquoi. C’est la règle de la transparence totale. En contrepartie, le même accord prévoyait des pseudocodes pour rendre viable la pratique extramurale. Aujourd’hui, on parle de 2,4 millions de BIM ; au 1er janvier 2026, ce sera davantage avec l’extension « économiques ». Près de 3 millions.

Nicolas de Pape : Vous aviez évoqué un chiffre-cible pour les « vrais » BIM, autour d’un million ?

Dr Patrick Emonts : Actuellement, ils sont 940.000.

Dr Stan Politis : Il y a deux groupes de BIM : depuis le 1er janvier 2025, les « vrais » précarisés, et, au 1er janvier 2026, les BIM « économiques » (revenu bas), mais le revenu ne tient pas compte, par exemple, du fait de posséder une ou deux maisons. C’est une autre catégorie.

Pour les mutualités, baisser un tarif est une économie « normale ». Mais pire encore : parfois, on met un tarif à zéro. Si un tarif est mis à zéro, l’AR de suppression doit être introduit simultanément. On ne peut pas obliger quelqu’un à travailler à tarif zéro. Dire demain au boulanger : « Tous vos coûts restent, mais le pain vaut zéro », ça ne tient pas.

Nicolas de Pape : Dans le même esprit, vous demandez une légère hausse du ticket modérateur… Le ministre l’a fait pour certains médicaments remboursables. Payer parfois 30 centimes un antibiotique, c’est dérisoire...

Dr Stan Politis : Pour le ticket modérateur, si on commence par la médecine générale, une priorité serait de réintroduire la téléconsultation (environ 70 millions d’euros de budget), surtout utile en première ligne, en la finançant via le ticket modérateur.

« La téléconsultation existe partout en Europe. Elle est indispensable. »

Dr Patrick Emonts : La téléconsultation existe partout en Europe autour de nous. Pour les personnes qui se déplacent difficilement, c’est essentiel - et depuis le covid, on est performant. Ça coûte 10 euros, contre 30 euros pour une consultation. L’idée était bonne, mais mal organisée : une toute petite conversation devenait une téléconsultation, les chiffres ont explosé. C’est pourtant un outil crucial, y compris dans certaines spécialités : IVG (contexte familial délicat), suivi post-opératoire, etc. On l’a retiré pour une logique de court terme budgétaire.

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Écrit par Un entretien de Nicolas de Pape & Erik Derycke22 octobre 2025

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