60 ans du GBO
Frank Vandenbroucke aux 60 ans du GBO : “Renforcer la confiance et la coresponsabilité dans les soins de santé”
Une présence remarquée (et appuyée) lors de la matinée d'étude consacrée aux 60 ans du GBO : le ministre de la Santé publique, Frank Vandenbroucke (Vooruit), est resté toute la matinée. Il a rappelé combien les médecins généralistes sont au cœur du système de santé. Mais ils ne sont plus les seuls. Et cette position centrale appelle de lourdes responsabilités, notamment face au fléau des malades de longue durée.
Nicolas de Pape
« Les médecins généralistes sont au cœur du système de santé. Vous êtes les interlocuteurs directs des citoyens, les guides dans un paysage de plus en plus complexe, et les personnes de confiance qui accompagnent les patients dans les moments les plus vulnérables de leur vie », a-t-il souligné en préambules. « Cette confiance est fondamentale — on pourrait même dire qu’elle est aussi importante que la qualité des soins. Mais elle est aujourd’hui mise à l’épreuve. Les pressions sont multiples : vieillissement de la population, maladies chroniques, complexité administrative, numérisation parfois mal vécue. À cela s’ajoute une évolution plus profonde : la remise en cause des notions mêmes de science et de solidarité. »

Or ce sont précisément les deux piliers du système… Quand les citoyens doutent de la science (les vaccins par exemple) ou perçoivent le système de santé comme un simple marché sur lequel on fait son shopping médical, le métier du MG en est rendu plus complexe.
Les forces du modèle social belge
Mais heureusement, notre modèle a pour principal atout la concertation. « Nous avons un système dans lequel les médecins participent directement aux décisions — sur les honoraires, la qualité, le statut social, les conventions. Cela repose sur des décennies d’engagement des praticiens qui ont donné de leur temps, défendu leurs opinions et assumé leurs responsabilités. Grâce à ce modèle, nous avons su maintenir un équilibre entre liberté et solidarité, entre la médecine comme vocation et comme profession, entre autonomie médicale et responsabilité sociétale. »
Frank Vandenbroucke tient d’ailleurs le même discours aux syndicats conventionnels, FGTB et CSC, qu’aux syndicats de médecins : même si la discussion est âpre, le ministre n’a jamais douté de l’utilité des syndicats dans le cadre d’une « démocratie sociale ».
« Nous avons besoin d’organisations syndicales qui ne se contentent pas de réagir, mais qui contribuent à l’élaboration des politiques."
« Nous avons besoin d’organisations syndicales qui ne se contentent pas de réagir, mais qui contribuent à l’élaboration des politiques, avec une vision, une connaissance du terrain et un sens des responsabilités. Cela implique davantage de professionnalisation, mais aussi plus de collaboration : entre syndicats médicaux, associations professionnelles et scientifiques (SSMG, Domus Medica), et avec les représentants des autres professions de soins. »
Le ministre titille les généralistes : « Il faut oser renforcer les autres métiers - pharmaciens, kinés, psychologues cliniciens - pour qu’ils puissent vous épauler. C’est une évolution nécessaire, même si elle demande du courage. »
Le rôle syndical est également essentiel pour maintenir la confiance entre les autorités publiques et le terrain. « La contestation fait partie de la démocratie, mais encore faut-il qu’elle repose sur une information correcte. Je pense, par exemple, à la polémique sur les “numéros Inami dynamiques” : pendant des mois, des rumeurs circulaient sur WhatsApp prétendant que “le ministre allait retirer les numéros”. C’était faux. Le rôle d’un syndicat est d’informer correctement, de contextualiser, puis de critiquer. »
Le ministre a insisté sur l’importance de garantir la liberté thérapeutique. « La liberté thérapeutique ne signifie pas liberté absolue : elle implique de travailler sur base de preuves scientifiques, en tenant compte de la qualité et des effets externes des actes médicaux. Un euro dépensé pour un acte à faible plus-value ne peut pas l’être ailleurs. C’est une question d’efficacité et de solidarité. »
Chacun a, par ailleurs, sa part de « responsabilité sociale » : patients, médecins, employeurs, mutuelles, autorités…
Le ministre socialiste a évidemment engagé la réflexion sur les malades de longue durée, sujet très à la mode en cette période où le gouvernement doit trouver des dizaines de milliards.
« Le problème des incapacités de longue durée illustre cette coresponsabilité. Oui, les employeurs ont un rôle dans la prévention et la réinsertion, mais le système a aussi failli : après douze mois d’incapacité, il n’y a plus de suivi. C’est un problème systémique. Je crois que les médecins traitants ont aussi une responsabilité dans la réflexion sur la guérison et la réinsertion - pas pour tous, bien sûr, mais pour ceux pour qui le retour à une activité, même adaptée, fait partie du processus de rétablissement. C’est un débat que nous devons mener ensemble, médecins, mutualités, médecine du travail. »
Investir mieux, pas seulement plus
« Nous allons vivre une décennie de fortes tensions budgétaires. Il faut continuer à investir, mais aussi utiliser l’argent de manière optimale », a prévenu le ministre. « Comme je le dis souvent : il faut plus d’argent pour la santé, mais aussi un peu plus de santé par euro investi. Cela suppose de réfléchir à l’efficacité de nos dépenses et à l’organisation des soins. La multidisciplinarité en première ligne est un axe stratégique majeur. Nous avons d’ailleurs créé un fonds pour financer la présence de psychologues cliniciens dans les cabinets médicaux : il est sous-utilisé, servez-vous-en ! »
De même, les assistants de pratique : le ministre enjoint les médecins à soulager leur journée de travail en les utilisant.
« L’avenir des médecins généralistes et des syndicats médicaux n’est pas un dossier administratif : c’est une histoire vivante. Une histoire riche, qui doit continuer. Avançons ensemble. »
« Nous dépendons trop de la Chine et de l’Inde »
Le ministre s’est prêté ensuite à une petite séance de question-réponse. L’ancien vice-président du GBO, Paul Vollemaere a souligné que « de nombreux médicaments anciens mais efficaces disparaissent du marché, car leur prix n’est plus rentable. Leurs remplaçants sont hors-de-prix. Est-il possible de renégocier les prix ou d’envisager une production magistrale ? »
Réponse du ministre : « C’est une vraie préoccupation. J’ai lancé en 2023 une initiative européenne contre les pénuries de médicaments, soutenue par 23 pays. Un mécanisme de solidarité entre États membres pour pallier les pénuries ponctuelles ; une cartographie des médicaments critiques et des chaînes d’approvisionnement vulnérables et un projet de Critical Medicines Act européen, sur le modèle du Critical Raw Materials Act, afin de rapatrier une partie de la production en Europe. Nous dépendons trop de la Chine et de l’Inde pour nos molécules de base. Il faut pouvoir subventionner des sites européens, même si cela implique une certaine flexibilité sur les prix. On arrive à la fin d’un paradigme : celui qui voulait faire baisser systématiquement tous les prix des médicaments. Il faut désormais de la nuance. »
Marcel Bauval qui siège depuis des décennies dans les arcanes des commissions Inami pour le GBO a demandé : « Pourquoi demander un effort budgétaire de 150 millions aux médecins, contre 50 seulement pour les hôpitaux ? »
Frank Vandenbroucke a admis que c’était une répartition imparfaite mais justifiable. « Nous cherchons avant tout des mesures ciblées sur l’efficacité et l’appropriation des soins, pas des coupes linéaires. Je suis ouvert à la discussion : le but est de corriger les excès de volumes ou d’actes inappropriés, pas de pénaliser les médecins. Le budget des soins de santé continuera d’augmenter structurellement de 4 milliards, au-delà de l’indexation. Mais il faut éviter les dérapages. »
Enfin, répondant à une médecin généraliste dans la salle qui rappelait l’importance de l’échelonnement des soins (passage prioritaire par le généraliste), le ministre estime que ce schéma est trop rigide, dépassé et qu’il en est lui-même revenu : « Sur l’échelonnement, je ne partage pas votre vision trop rigide. Le généraliste doit rester le pivot, mais il faut plus de fluidité et de collaboration avec certains spécialistes en première ligne - psychiatres, gériatres, endocrinologues - pour renforcer les équipes. Nous devons aussi réformer les métiers infirmiers, créer de nouvelles fonctions comme les assistants de pratique, et reconnaître leurs compétences accrues. Ces évolutions sont nécessaires pour soutenir votre travail. »