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« Nous avons hélas redonné la main au gouvernement »

Le directeur général des Mutualités Libres, Xavier Brenez, revient sur un budget Inami contesté, les limites de la lettre de mission, le débat sur le ticket modérateur, la protection BIM, le déséquilibre entre intra et extramuros, les réintégrations au travail et la difficulté de mener des réformes structurelles dans un contexte budgétaire étouffant. 

Xavier Brenez
MLOZ

Le journal du Médecin : On reproche à nouveau au récent budget Inami - qui n’a pas été adoubé par les acteurs de soins - des économies aveugles comme au bon vieux temps des années 90. Les syndicats médicaux sont en état de choc, disent-ils.

Xavier Brenez : Il y a une pression du temps, il faut toujours trouver rapidement des économies. On fait toujours des choses qui ne pèsent pas nécessairement sur les volumes. Nous étions prêt à un certain moment à alléger un peu la charge pour les médecins. On n'était pas les seuls autour de la table et il y avait la lettre de mission aussi qui indiquait des indications assez claires. C'était la première fois qu'on avait cette lettre de mission, donc ce n'était pas évident pour tous les acteurs de se positionner par rapport à ça, de savoir dans quelle mesure il s'agissait de lignes directrices indicatives.

On l'a taxée d'ex-cathedra... C'était à prendre ou à laisser...

Il y a eu des discussions de savoir dans quelle mesure était-on prêt à s'écarter un peu ou beaucoup de la lettre de mission. Le risque est que plus on s'écarte de la lettre de mission, plus on court le risque que les représentants du gouvernement mettent leur véto au conseil général. Avec le recul, j'aurais fait les choses différemment. Je pense qu'on aurait pu s'écarter un peu plus de la mission, alléger la charge pour les médecins, mais sans nécessairement basculer vers une charge supplémentaire vers les hôpitaux, ce qui était inenvisageable. Le secteur pharmaceutique était aussi très fort sollicité. On arrivait tout de suite sur le débat du ticket modérateur.

« Concernant la lettre de mission, nous ne nous attendions pas à quelque chose d'aussi cadré."

Justement. L'Absym proposait 1 euro de plus. Ça a été refusé mais Vandenbroucke semble y songer malgré tout…

C'était écrit. Notre position sur le ticket modérateur était beaucoup plus souple que d'autres. Ce n'est pas qu'on applaudit des deux mains l'augmentation du ticket modérateur, mais dans le contexte actuel, vu que la politique fiscale n'avançait pas à ce moment-là, le seul instrument qu'on a dans les soins de santé, c'est effectivement le ticket modérateur qui, par ailleurs, n'est pas indexé. Ça n'aurait pas été scandaleux de l'indexer à l'avenir, de l'augmenter un petit peu. Notre idée était surtout de pouvoir le réinvestir dans de nouvelles politiques puisqu'il n'y a évidemment aucun budget pour elles. Mais sur le banc mutualiste, on était tout à fait isolé. Certains ont mis des lignes rouges. Ce que j'avais dit en son temps, c'est qu'on se prive d'un instrument que le gouvernement ne va pas se priver d'utiliser plus tard. Je regrette qu'on n'ait pas utilisé cet instrument. Le gouvernement l'a fait pour rajouter une couche supplémentaire, alors qu'on aurait pu très bien utiliser ça dans le cadre du budget avec des lignes claires. Il ne fallait pas que ça devienne le syndrome du timbre postal qui augmente quand la poste a besoin d'argent…

Ça fait néanmoins un peu penser à ça…

Oui. C’est pourquoi, dans les lignes qu'on avait proposées, l'intégralité devrait aller vers un réinvestissement. Il faut maintenir les mécanismes de protection MAF, BIM et cetera. Il faut essayer de moduler le ticket modérateur aussi en fonction de la valeur ajoutée des actes. Le ticket modérateur, ce n'est pas un instrument idéal, la littérature est assez claire là-dessus. Le moins grave qu'on puisse faire, c'est de se dire « mettons un ticket modérateur ou un ticket modérateur plus important sur les actes qui ont moins de valeur ajoutée », et « sur les prestations qui sont essentielles ou les médicaments qui sont essentiels, essayons d'avoir un ticket modérateur qui soit nul ». C'est une occasion manquée. Ça aurait pu changer les débats budgétaires, on aurait pu avoir un accord entre les acteurs du secteur, ce qui aurait été bien meilleur. On a hélas redonné la main au gouvernement. Heureusement, dans son dernier accord budgétaire [le 25 novembre], celui-ci est resté assez fidèle à la proposition du secteur.

En kern, Frank Vandenbroucke a-t-il été convaincant ?

Le gouvernement a remis certains éléments qui étaient dans la lettre de mission et qu'on avait enlevés, notamment au niveau des médicaments. Le travail n'était donc pas perdu, dans la mesure où le gouvernement s'est largement inspiré de ça.

Revenons quand même sur cette lettre de mission... C'est une nouveauté...

Ce qui nous a surpris, c'est son niveau de détail. On ne s'attendait pas à quelque chose d'aussi cadré. Je trouve que c'est une bonne initiative car, d'habitude, il y a pas mal d'exercices où on demandait l'input du gouvernement pour faire une proposition de budget et on n'obtenait pas vraiment les informations. Le gouvernement faisait un travail en parallèle ou mettait son véto. Ici, ça permet de rassembler les visions de chaque acteur et de travailler sur une proposition qui a le plus de chances d'être approuvée. Sur le principe, c'est bon, mais ici je trouve que ça va trop dans les détails. C'est presque une préproposition budgétaire, ça laisse assez peu de marge à la discussion.

Trop de BIM

Est-ce que vous pensez, comme l'Absym, qu'il y a un peu trop de BIM ? Finalement, trop de protection tue-t-il la protection ?

Il y a effectivement une partie de la population qui a besoin de mécanismes de protection. C'est tout à fait clair. Maintenant, je trouve que la mécanique actuelle, surtout celle du BIM, est très on/off. Tu es BIM ou tu ne l’es pas. Dans la vulnérabilité, il y a une gradation. Le grand défaut du BIM, lié à la politique fiscale, c'est qu'on ne tient pas compte de la richesse des individus. On n'a pas de cadastre de patrimoine. On se base uniquement sur certains revenus. Je pense qu'il faut avoir une réflexion de fond sur le concept de vulnérabilité. Il n'y a pas que la vulnérabilité financière, il y a la vulnérabilité médicale aussi. Je pense qu'il faut vraiment ouvrir le chantier pour améliorer le système et le rendre plus graduel sans en faire une usine à gaz. D'autant plus qu'il y a aussi plein de droits dérivés. Le statut BIM est central et il faut vraiment avoir une réflexion de fond.

Xavier Brenez
© MLOZ

Out of the pocket

On dit que le patient belge paye nettement plus de sa poche que la moyenne dans l'Union européenne et même dans l'OCDE. 

Oui, c'est un fait, c'est clair. Mais il faut aussi comparer les systèmes. Dans toute une série de systèmes où le out of the pocket est moins important, les assurances complémentaires (comme en France) sont très répandues. C'est une autre forme d'out of pocket, sous forme d'une cotisation. Néanmoins, c'est un débat important. Dans le out of pocket, il y a deux grandes choses : les dépenses de santé personnelle des gens, qui relèvent de leur choix personnel (vente libre, prestations non remboursées, esthétiques, etc.). Il faudrait déjà isoler ça. Après, la grande question, ce sont les suppléments d'honoraires, notamment au niveau ambulatoire, puisque au niveau hospitalier, c'est en grosse partie réglé par les assurances complémentaires. La question c'est : « dans quelle mesure régule-t-on la question des suppléments d'honoraires dans le secteur ambulatoire ? »

Je trouve que le constat selon lequel on fait uniquement des économies linéaires est un peu dur.

Justement à ce sujet, le président de l'Absym, Patrick Emonts, disait qu'on sacrifie l'extramuros alors qu'il comble les manques de l'hospitalier. Élise Derroite estime, elle : « Nous mutuelles, nous ne pouvons pas surveiller ce qui se passe dans l'extramuros par rapport aux patients qui ne peuvent pas payer ou face aux suppléments, aux dérapages financiers. Mais en même temps, on a besoin de médecins hors hôpital. » Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas sur quoi le Dr Emonts se base pour dire qu'on sacrifie l'extramuros. Je n'ai pas de chiffres probants. Le problème, c'est qu'on mène les débats en silo. Je vois plutôt dans certains cas un effet inverse. Plus on met des limites au niveau du secteur hospitalier, plus il y a des choses qui sortent de l'hôpital de manière non encadrée. Tout ça parce qu'on mène les débats de manière complètement différente. On a eu tout le débat sur la cataracte et les opérations qui se font en dehors du secteur hospitalier. On crée des distorsions qui ne sont pas nécessairement voulues. On a énormément de chantiers de réforme (plantés il y a même cinq ou dix ans) qui n'avancent pas ou pas de manière coordonnée. On touche à un équilibre fragile. Toucher à une variable quelque part crée un déséquilibre ailleurs.

Les syndicats médicaux regrettent des mesures qui ne sont pas forcément EBM, ni forcément en faveur de la qualité. D’ailleurs, on ne parle plus beaucoup de la qualité des soins. Il me semble que la loi qualité existe mais on ne l'applique pas vraiment.

Aujourd'hui, on assiste essentiellement à des débats budgétaires, surtout cette année. Le gouvernement a pris huit mois pour faire un budget. Il y a une pression très importante. Quand la pression est telle et qu'il faut faire des économies à court terme, on travaille sur les prix, on fait des économies linéaires, alors qu'on sait très bien qu'il faut faire une politique de santé qui travaille sur les volumes, sur les soins appropriés, ce qui demande d'autres mécanismes et des réformes. Je trouve que le constat selon lequel on fait uniquement des économies linéaires est un peu dur. On a quand même travaillé sur la biologie médicale, l'imagerie médicale, des restrictions sur certaines opérations, les antiacides au niveau des médicaments. On ne peut pas dire que ça ce n'est pas evidence based. Mais ce n'est pas suffisant. Aujourd'hui, on doit mettre en place des instruments pour travailler sur les volumes. Le débat de la forfaitarisation dans le futur financement hospitalier est important, parce que ça va régler la question en grosse partie. Au niveau ambulatoire, il faudra trouver des mécanismes d'incidence financiers qui récompensent la pratique médicale, le respect des guidelines et des volumes. Il faut donner des benchmarks aux médecins et les sensibiliser par rapport à ça.

Pensez-vous qu'une fois que la réforme du financement hospitalier et de la nomenclature seront bouclés, 2028 si je ne m'abuse… ?

Ce ne sera jamais 2028 !

...qu'une fois ces réformes achevées, alors, les problèmes des suppléments seront réglés ?

Ça dépendra du débat. Si on mène la question de fond jusqu'au bout, on devrait pouvoir résoudre la question, sinon ce serait un échec. Ces réformes doivent résoudre la question du supplément et aussi celle des tickets modérateurs. Je pense qu'il y aura une place pour le ticket modérateur, mais, comme je l'ai dit, il faudra le moduler en fonction de la valeur ajoutée des actes.

Toujours en matière de grosses économies, c'est la réintégration au travail qui est revenue au premier plan. Les mutualités chrétiennes viennent de demander ce qu'on allait faire de ces 100.000 personnes qu'on veut sortir de la maladie de longue durée. En effet, où va-t-on les remettre dans le monde de l’entreprise ? Comment voyez-vous les choses aux Mutualités libres ? Pensez-vous qu'il y a beaucoup d'abus, de faux malades ?

Il y a des abus comme dans tout système et il faut l'accepter. Je pense que les abus sont mineurs - quelques pourcents de la population, très loin des chiffres que certains ont pu citer. C'est inacceptable de se dire « on ne fait rien », mais impensable de se dire qu'on va tous les reconvoquer régulièrement. Toutes les études montrent que la première chose à faire, c'est d'abord de juguler l'augmentation des malades de longue durée (MLD), donc éviter de nouveaux malades, et mettre un maximum de moyens sur la première année. Ma crainte, c'est qu'il y ait assez peu de moyens résiduels pour faire un accompagnement poussé des MLD. C'est beaucoup plus efficace, budgétairement, de travailler sur des gens qui sont en début d'incapacité de travail. Il faut que les services régionaux fassent leur travail de formation et d'orientation, et qu'il y ait des employeurs volontaristes. J'ai certains doutes sur les chiffres qui sont annoncés. Le fait de demander au médecin traitant de refaire le point avec la personne chaque année, c'est une bonne mesure. Pour résumer, je pense qu'on essaie de travailler un peu trop sur tous les chantiers. On demande à la première ligne, à la médecine du travail, aux médecins-conseils et aux services régionaux de l'emploi d'augmenter leur action. Or, toutes ces lignes sont surchargées et sous-staffées aujourd'hui. 

Vos médecins-conseils croient-ils au Trio, où chacun conserve ses prérogatives ? On avait l'impression qu'on voulait retirer un petit peu son rôle au généraliste dans le système... Qu'en pensent vos médecins-conseils ?

Sur le principe de dire qu'il faut qu'il y ait une collaboration entre le médecin traitant, les médecins-conseils et la médecine du travail, c'est très bien. Le fait qu'il y ait besoin d'une plateforme pour faciliter les échanges, c'est très bien aussi. Maintenant, on a mis cette plateforme en place à l'arraché avec des fonctionnalités très limitées. Aujourd'hui, c'est du papier, on échange des PDF. Rien n'est intégré dans nos back-offices. Ce qu'il faut, c'est d'avoir des données structurées pour que nous puissions intégrer ça dans nos back-offices. C'est une surcharge de travail pour tout le monde. Il faut accepter que c'est une plateforme qui doit monter en maturité et qui doit être rendue obligatoire. Si on ne la rend pas obligatoire, on va en rester à des volumes très limités. Une bonne partie de la réforme repose sur des échanges de données structurées entre le médecin traitant, la médecine du travail et la mutualité. Par exemple, les médecins généralistes et la médecine du travail vont pouvoir donner des accords pour des reprises de travail à temps partiel. Si on n'arrive pas à mettre en place cet échange structuré d'information, beaucoup de mesures de réforme ne pourront pas être prises en compte.

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Écrit par Nicolas de Pape26 novembre 2025

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