Le journal du médecin
littératie
Contrairement aux idées reçues, les jeunes médecins ne sont pas mieux armés que leurs aînés en matière de littératie numérique. © Getty Images

Littératie numérique en santé : un plan sur les rails

Adopté en mai par la Conférence interministérielle (CIM) Santé, le Plan interfédéral de littératie numérique en santé entend répondre à un paradoxe belge : un système très digitalisé côté prestataires, mais des citoyens souvent démunis. Pour les médecins, ce plan pourrait annoncer une petite révolution à la fois pédagogique, organisationnelle et culturelle.

La Belgique est en pointe sur l’échange de données de santé entre prestataires… mais nettement moins performante du côté des patients. « On est en pole position côté technique, mais mauvais élève sur l’empowerment », résume Thibaut Duvillier, administrateur général adjoint de la Banque carrefour sécurité sociale - plateforme eHealth et cheville ouvrière du plan. Ce constat est désormais largement partagé, qu’il vienne de l’Union européenne, de la Fondation Roi Baudouin ou des mutualités.

Lancé à l’unanimité par la CIM Santé, le plan littératie combine deux axes : renforcer les compétences numériques des citoyens et faire évoluer les pratiques des prestataires de soins, en promouvant une littératie partagée. Il s’inscrit dans un consensus inédit entre entités fédérales et fédérées, mutualités et associations de patients.

Le médecin, interface clé du citoyen

Dans le plan, les médecins sont désignés comme « interfaces principales » du citoyen avec ses données de santé. Ce rôle n’est pas nouveau, mais il s’élargit : il ne s’agit plus seulement de prescrire ou d’interpréter, mais aussi de rendre intelligibles des informations souvent opaques, notamment les résultats d’examens, les schémas de médication ou les lettres de sortie. « La littératie, ce n’est pas uniquement le numérique. C’est aussi une question de langage, de clarté, de dialogue », insiste Thibaut Duvillier.

Concrètement, le plan prévoit une campagne de sensibilisation autour de deux techniques éprouvées : le Teach-back, qui consiste à demander au patient de reformuler ce qu’il a compris, et le Ask Me 3®, qui encourage trois questions simples : Quel est mon problème ? Que dois-je faire ? Pourquoi est-ce important ? Rien de révolutionnaire en apparence, mais un pas de côté culturel dans un système encore marqué par l’asymétrie d’information.

Ici, la logique n’est pas coercitive. Il n’est pas question d’obliger, mais d’outiller les médecins pour renforcer le lien thérapeutique, dans un contexte où la transparence devient un droit, et la complexité un risque d’exclusion.

Une culture à transmettre, dès les études

C’est peut-être l’un des changements les plus structurants du plan : à partir de l’année académique 2028–2029, un module de littératie numérique en santé deviendra obligatoire dans la formation de tous les professionnels de santé, au sens large. « Ce sera la première fois que tous les futurs prestataires recevront une formation structurée sur l’eSanté et sur la manière de dialoguer avec les patients », souligne Thibaut Duvillier. Et d’insister : « Ce n’est pas un gadget. C’est une petite révolution. »

Cette formation initiale visera à développer une double compétence : savoir naviguer dans un environnement digitalisé mais aussi apprendre à adapter son langage, contextualiser les données, et co-construire la décision avec le patient.

Du côté de la formation continue, l’Inami proposera des modules accrédités, notamment en e-learning. Et un débat est ouvert : faut-il rendre les points liés à la littératie obligatoires ou encore en renforcer la pondération ? « C’est une des pistes qui sera mise sur la table du Conseil national de promotion de la qualité (CNPQ) », explique Thibaut Duvillier. L’idée serait de reconnaître cette compétence comme essentielle à la qualité des soins, et pas seulement comme un “plus” périphérique.

Vers une littératie organisationnelle

Le plan concerne aussi les hôpitaux. L’ objectif : réduire la complexité inutile du système et faire en sorte que les institutions deviennent « pro-littératie ».

Cette dynamique pourrait être intégrée à terme aux normes de qualité et aux mécanismes de financement. « C’est un chantier qui sera discuté avec le SPF Santé publique et le KCE », confirme Thibaut Duvillier. « Aujourd’hui, on mesure les performances numériques ou l’efficience. Demain, il faudra aussi évaluer la capacité à rendre les soins compréhensibles, accessibles, navigables. »

L’IA pourrait aussi jouer un rôle. Le plan prévoit de mandater un groupe d’experts pour réfléchir à l’usage d’outils capables de traduire automatiquement certaines données complexes, comme les lettres de sortie hospitalières. « Ce n’est pas au médecin de réécrire en langage simple. Mais si le patient a accès à son dossier, il faut qu’il puisse en comprendre le sens. »

Une exigence européenne, un défi collectif

Le plan s’inscrit aussi dans un mouvement plus large : celui du European Health Data Space (EHDS), entré en vigueur au printemps 2025. Ce règlement impose à tous les États membres de garantir aux citoyens un accès effectif, lisible et contrôlable à leurs données de santé, d’ici 2030. « La transparence devient un droit, le citoyen un acteur. Il doit pouvoir consulter, comprendre, voire corriger certaines informations », rappelle Thibaut Duvillier. Et cela vaut tant pour l’usage direct que pour la réutilisation à des fins de recherche.

Le médecin ne sera pas seul dans cette transformation. Un réseau d’ambassadeurs eSanté est en cours de constitution, porté notamment par le réseau existant des mutualités. Une plateforme de démonstration est prévue pour 2026, avec des profils de patients fictifs, afin de former aussi bien les citoyens que les soignants aux outils numériques. L’Inami, de son côté, soutiendra des modules de formation.

Reste une question sensible : cette montée en charge sera-t-elle perçue comme un soutien ou une charge supplémentaire par les professionnels ? « On ne veut pas imposer. Le message, c’est : comment vous aider à mieux dialoguer, pas comment vous compliquer la vie », insiste Thibaut Duvillier. Mais il reconnaît que la réussite du plan dépendra aussi de l’adhésion de terrain.

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Écrit par Laurent Zanella

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