Le journal du medecin
IA radiologie
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Le soin augmenté : mythe ou mutation réelle ?

Faut-il encore former des radiologues ? En 2016, Geoffrey Hinton, pionnier de l’intelligence artificielle, en doutait : selon lui, l’IA allait rapidement les surpasser. Neuf ans plus tard, à la Mayo Clinic, leurs effectifs ont explosé. Car si l’IA est bien là, elle ne remplace pas — elle transforme. Et cette évolution dépasse le seul cas de la radiologie. Loin des prophéties anxiogènes comme des promesses miraculeuses, il est temps de penser l’IA en santé autrement : ni menace, ni panacée, mais un outil à interroger, encadrer et mettre au service du soin.

Deux écueils reviennent sans arrêt quand on parle d’IA en santé. Il y a le catastrophisme (“les médecins vont être remplacés”) et le solutionnisme technologique (“l’IA va tout résoudre”). Et si la réalité était tout autre ?

Le mythe de la substitution : une prophétie avortée

En 2016, Geoffrey Hinton, figure tutélaire de l’intelligence artificielle, affirmait qu’il devenait inutile de former de nouveaux radiologues. L’IA, selon lui, surpasserait rapidement l’expertise humaine. Neuf ans plus tard, la réalité lui donne tort. Tant sur le fond comme sur le calendrier. Aux États-Unis, la célèbre Mayo Clinic a vu ses effectifs en radiologie croître de 55 % depuis cette annonce. L’IA n’a pas remplacé les médecins, elle s’est intégrée dans leurs pratiques, souvent en silence, toujours sous contrôle humain.

À Rochester, principal campus de la Mayo Clinic, les radiologues utilisent désormais l’IA pour améliorer la netteté des images, détecter certaines anomalies, accélérer la production de rapports ou encore repérer des embolies pulmonaires sur des examens réalisés pour d’autres indications. Ces assistants numériques permettent de gagner du temps, d’augmenter la précision, mais ne prennent pas de décisions à la place des médecins. « Nous avons toujours su que le travail de radiologue était bien plus complexe qu’une simple lecture d’image », commente le Pr Callstrom, chef du service de radiologie, dans un récent du New York Times [1].

Cette réalité américaine fait écho à la situation belge. Ici aussi, le développement de l’IA s’accélère, notamment en imagerie médicale. Mais l’horizon n’est pas celui d’un remplacement, plutôt celui d’une collaboration raisonnée entre cliniciens et algorithmes, entre expérience humaine et calculs automatisés.

IA médicale : oui, mais pas n’importe comment

Les cas d’usage de l’intelligence artificielle se multiplient en santé : aide au diagnostic, tri d’images, automatisation des dossiers, prédiction de complications. Pourtant, dans les hôpitaux belges comme ailleurs, la prudence reste de mise. Car derrière l’innovation, tous les outils ne se valent pas. Beaucoup séduisent en vitrine, mais déçoivent à l’usage.

De nombreux algorithmes souffrent d’un manque criant de robustesse. Une IA validée sur des données américaines peut voir ses performances chuter de 30 % dans un hôpital wallon ou bruxellois. C’est le cas en radiologie, mais aussi en dermatologie, en cardiologie ou en psychiatrie. L’enjeu est donc moins d’accueillir l’IA à bras ouverts que de l’évaluer comme on le ferait pour un test biologique ou un médicament : avec des critères de fiabilité, de reproductibilité et de transparence.

C’est là que le bât blesse. Trop de solutions sont déployées sans que leurs bases de données, leurs performances en vie réelle ou leurs biais d’entraînement soient clairement documentés. La tentation d’un déploiement rapide, sous l’impulsion de prestataires techniques ou de directions hospitalières, menace la confiance. Et sans confiance, aucun outil ne peut s’ancrer durablement dans la pratique.

Quel rôle pour les médecins dans un système augmenté ?

Si l’intelligence artificielle ne remplace pas les médecins, elle redessine les contours de leur métier. À la Mayo Clinic, les outils d’IA libèrent du temps en automatisant les mesures de volumes rénaux, en triant les examens prioritaires ou en prédisant certaines arythmies cardiaques. Mais cette efficacité accrue soulève une autre question : à quoi ce temps libéré doit-il servir ?

Là où certains voient une opportunité de recentrer les soignants sur l’écoute, la relation et la complexité clinique, d’autres redoutent une réaffectation mécanique à de nouvelles tâches, sans réflexion sur le sens du soin. Comme le rappellait le psychiatre et spécialiste de l’IA Giovanni Briganti (UMons), lors d'une présentation récente à la première ligne de soin, « chaque minute gagnée peut aussi devenir une minute reprise par d’autres exigences, administratives ou productivistes ».

En pratique, l’arrivée de l’IA interroge le rôle du médecin comme interprète du soin. Car si l’algorithme détecte une anomalie, il ne connaît ni l’histoire du patient, ni ses préférences, ni son vécu. Le clinicien, lui, articule les données dans un récit. C’est cette capacité de mise en contexte qui reste irremplaçable, et que l’IA ne fait qu’amplifier lorsqu’elle est bien conçue.

Plutôt que d’opposer intelligence humaine et artificielle, c’est donc la coopération entre les deux qu’il faut penser. Et cela suppose une chose : que les médecins restent aux commandes. Pas comme simples validateurs, mais comme co-créateurs, prescripteurs, superviseurs de ces outils. La pertinence d’une IA ne peut se mesurer sans l’expertise humaine pour en juger l’usage.

L’IA ne remplace pas le soin, elle interroge notre manière de le penser

L’intelligence artificielle ne va pas supprimer les métiers médicaux. Elle en redéfinit plutôt les frontières, les priorités, les outils. Et ce mouvement, déjà à l’œuvre dans certains services, également en Belgique, dépasse le débat caricatural entre techno-enthousiastes et alarmistes. Il appelle une réflexion de fond sur la place du jugement clinique, la gouvernance des données et la redéfinition du temps médical.

En un sens, l’IA oblige à se recentrer sur ce qui fait l’essence du soin : comprendre un patient, pas seulement interpréter une image, relier des signes à un contexte, pas seulement prédire une probabilité. À l’image de ce qu’a fait la Mayo Clinic, la réussite d’une IA clinique ne repose pas sur sa performance isolée, mais sur sa capacité à s’intégrer dans un collectif humain.

D’aucuns estiment qu’il est l’heure d’assumer la place des médecins dans le déploiement de l’IA. Cette dernière n’est pas une menace, à condition qu’elle reste un outil. Et que les soignants décident de son usage.

Références
1. New York Times, 14 mai 2025, « Your A.I. Radiologist Will Not Be With You Soon », en ligne.

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Écrit par Laurent Zanella

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