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Le tabagisme, une maladie chronique à traiter comme les autres

tabagisme
© Getty Images

Quelles stratégies pharmacologiques privilégier pour accompagner l’arrêt du tabac ? Lors d’un webinaire organisé par le Fares le 21 mai dernier, le Dr Ivan Berlin (Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris) a insisté sur la nécessité d’une prise en charge médicale proactive et sur les récentes évolutions thérapeutiques, notamment l’arrivée de la cytisine et la place croissante de la cigarette électronique.

La prise en charge du tabagisme reste très en deçà de celle des autres pathologies chroniques, insiste d’entrée de jeu le tabacologue : « Un patient hypertendu a 33 fois plus de chances qu’un traitement soit initié pour son hypertension qu’un fumeur pour son tabagisme, alors que le risque de morbi-mortalité lié au tabac est comparable, voire supérieur dans le cas du diabète. » Cette négligence trouve sa source dans une délégation de la décision médicale aux patients : on attend que le fumeur exprime sa motivation à arrêter, alors que pour les autres pathologies, la prise en charge est systématique. Pour le Dr Ivan Berlin, cette attitude n’est ni éthique, ni déontologique, compte tenu de la gravité des risques liés au tabac. Voilà pourquoi il prône une responsabilisation des professionnels de santé qui devraient systématiquement proposer une aide à l’arrêt, indépendamment du degré de motivation du patient.

Comment faire ? « Il y a des astuces pour éviter le refus », explique-t-il en recommandant d’adopter une stratégie « opt-out » : proposer le traitement d’emblée, sauf opposition explicite du patient. Cette approche, issue du monde commercial, a fait ses preuves et augmente significativement l’acceptation des traitements et l’observance.

En 2022 [1], une étude a par exemple montré que le simple fait d’adopter une stratégie « opt-out », « on vous prend en charge, sauf si vous vous y opposez », s’est traduit par une abstinence à un mois significativement plus élevée qu’en cas de stratégie « opt-in », tout en renforçant le sentiment d’autonomie des patients et leur coopération avec les praticiens. Il s’agit donc moins de convaincre que de normaliser cette prise en charge, en la rendant aussi automatique que pour toute autre maladie chronique.

« Un patient hypertendu a 33 fois plus de chances qu’un traitement
soit initié pour son hypertension qu’un fumeur pour son tabagisme »

Arrêt abrupt ou progressif ?

La question de la modalité d’arrêt se pose souvent. « Dans mon expérience », poursuit-il, « 80 % des fumeurs préfèrent un arrêt progressif. Cette préférence doit être respectée et peut être intégrée dans une stratégie de pré-traitement qui consiste à administrer des médicaments du sevrage tabagique avant la date d’arrêt prédéfinie avec le patient. Cette attitude thérapeutique augmente la probabilité d’abstinence tabagique. »

Le Dr Berlin rappelle que, quelle que soit la modalité choisie, le plus important reste la mise en place d’un accompagnement adapté et la persévérance, car la rechute fait partie du processus. Il insiste sur la nécessité d’administrer les traitements de substitution nicotinique (TSN) sur de longues durées, au-delà des trois mois traditionnellement recommandés. « Les schémas d’utilisation historiques, hérités des années 1990, sont dépassés : le tabagisme étant une maladie chronique, la durée du traitement doit être adaptée à la situation clinique, parfois sur plusieurs mois voire années. »

Médicaments efficaces

Les TSN restent la pierre angulaire du sevrage tabagique. Ils doivent être adaptés individuellement, parfois à des doses élevées (jusqu’à 100 mg/jour, voire plus chez les métaboliseurs rapides). « Dans la majorité des cas, les gens apprennent facilement à s’autotitrer pour éviter les envies de fumer. Les TSN sont sûrs mais », rappelle le Dr Berlin, « leur posologie doit être adaptée chez les patients dont la fonction rénale ou hépatique est altérée. »

Autre agoniste nicotinique, la varénicline qui, absente du marché depuis quatre ans, vient de faire son retour en juin. Elle reste un traitement de première intention, seule ou en association avec les TSN. Les controverses sur ses effets indésirables graves (neuropsychiatriques, cardiovasculaires) ne sont pas confirmées par les grandes études indépendantes, notamment l’étude EAGLES qui n’a pas montré de sur-risque par rapport au placebo ou à d’autres traitements. La préférence du patient doit guider le choix entre varénicline et TSN. Quant au bupropion, il conserve une place en seconde intention, notamment chez les patients présentant une contre-indication ou une intolérance aux autres traitements.

Nouvelle venue

La cytisine (cytisinicline aux États-Unis) est l’innovation majeure de ces dernières années. « Cet alcaloïde, présent dans diverses plantes, dont la cytise, a été isolé pour la première fois en 1865. On lui attribue de nombreuses propriétés thérapeutiques potentielles », explique-t-il. Elle fait partie de la même classe thérapeutique (agonistes partiels et sélectifs des récepteurs nicotiniques alpha4bêta2) que la varénicline, mais sa demi-vie est plus courte (5h vs 19h), ce qui impose une prise trois fois par jour pour les comprimés à 3mg. Son profil d’effet indésirables est similaire à celui de la varénicline (notamment des nausées). « Son efficacité est proche de celle de la varénicline », précise le Dr Berlin tout en notant que dans les études [2], « l’effet protocole est plus important que l’effet produit : le simple fait de participer à une étude de sevrage tabagique ou d’être en sevrage a un effet sur la diminution de l’envie de fumer. La prise en charge fait mieux que le médicament ! »

La cytisine est déjà disponible dans 18 pays sur ou sans prescription médicale. Une demande d’AMM déposée en France selon une procédure européenne de reconnaissance mutuelle a obtenu un avis positif début 2025, elle devrait donc être bientôt disponible sur prescription médicale en Europe.

Une aide controversée mais prometteuse

Dernière venue dans l’aide au sevrage, la cigarette électronique (CE) s’impose progressivement, notamment les modèles à réservoir (tank). Son mode d’administration de la nicotine, via un aérosol de particules ultra fines, mime celui de la cigarette classique, permettant une absorption rapide et des pics plasmatiques élevés. C’est ce qui explique son efficacité supérieure à certains TSN pour réduire l’envie de fumer et maintenir l’abstinence tabagique. Les études récentes montrent que la CE avec nicotine augmente le taux d’abstinence tabagique par rapport à l’absence de traitement ou à la CE sans nicotine. Cependant, la dépendance à la nicotine persiste souvent, parfois à des doses plus élevées qu’avec la cigarette traditionnelle. De plus, les effets indésirables (irritations buccales et pharyngées, toux, maux de tête, nausées…) sont fréquents.

Le tabacologue souligne que l’OMS recommande aux pays qui mettent en œuvre une stratégie de sevrage tabagique utilisant des CE de contrôler les conditions d’accès à ces produits et de considérer la CE comme un médicament, soumis à une AMM, afin de garantir sa sécurité et son efficacité. Enfin, le Dr Berlin attire l’attention sur le manque d’études à long terme, la diversité des dispositifs et des usages, ainsi que la difficulté d’utilisation pour certains patients, notamment les plus âgés, comme autant d’éléments qui limitent la généralisation de la CE comme outil de sevrage. Quoiqu’il en soit, l’arrivée prochaine de la cytisine, le retour de la varénicline et l’intégration progressive de la cigarette électronique offrent de nouvelles perspectives au sevrage tabagique.

Références :
[1] JAMA 2022;183(4):331-9
[2] Cochrane 2023;5(5):CD006103, JAMA 2023;330(2):152-160, JAMA Intern Med, 21 avril 2025:e250628

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Écrit par Martine Versonne12 juin 2025
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